Les risques externes sur les centrales nucléaires française

Dans le cadre de la conférence environnementale du 14 et 15 septembre,  le débat sur la transition énergétique s’ouvre, associant l’Etat, les associations, les syndicats, les élus locaux et parlementaires. La question du risque nucléaire y sera donc débattue. Elle a été précédée pfar un communiqué de la Ministre de l’Ecologie confirmant l’annonce de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, demandée depuis plus de 20 ans par les écologistes français (mais aussi allemands et suisses) car ils la considèrent comme la plus dangereuse de France. Or, après l’incident de la centrale nucléaire de Blaye en 1999 et surtout après la catastrophe de Fukushima en 2011 (dans ces 2 cas celui d’un sous-dimensionnement des digues), la question des risques d’origines externes est apparue pour le grand public et les autorités comme tout aussi importante que celle des risques internes d’accident (risque internes dont Tchernobyl constitue un marqueur historique fort). Si la question de la maîtrise des risques internes relève souvent de la compétence des experts des processus de l’énergie nucléaire, la question de risques externes peut être plus facilement appréhendée, par un public beaucoup plus large.

I/ Une définition des risques majeurs pour comprendre le risque nucléaire

Définition générale du risque majeur

Pour comprendre comment se définit un risque majeur, je vais baser tout le raisonnement de cet article sur des notions simples et reconnues par tous.

Les risques majeurs se caractérisent par un événement rare pouvant avoir un impact important sur la santé des populations exposées. La faible fréquence d’un aléa, exceptionnel en intensité (par exemple une crue couvrant largement le lit majeur d’un fleuve, un séisme de magnitude puissante)  est alors associée à la rudesse de son impact sur les populations et l’environnement (nombreux décès, pertes économiques conséquentes). Ainsi, les catastrophes nucléaires, entrainant la mort de dizaines de personnes demeurent peu fréquentes, si bien que le risque nucléaire appartient à la catégorie des risques majeurs.

Depuis plus d’une dizaine d’année, à travers ses programmes et ses actions d’information préventive, le ministère de l’Ecologie a précisé cette définition consensuelle des risques majeurs en y ajoutant une dimension spatiale, cartographique, à vocation pratique pour contrôler l’exposition des implantations humaines dans des zones dangereuses. Ainsi, le risque majeur est définit par la présence d’enjeux humains dans une zone où peut se produire un aléa peu fréquent mais potentiellement dévastateur. Il n’y a pas de risque majeur si un fort séisme se produit dans un espace sans implantations humaines. Au contraire, il y a un risque majeur dès que des enjeux importants sont implantés dans ces zones d’aléas, quelque soit d’ailleurs les mesures préventives prises à son égard. Ainsi, la société japonaise, quoique très robuste au niveau de ces bâtiments parasismiques et très résiliente en cas de catastrophe, considère l’aléa sismique comme un risque majeur. Et c’est bien parce qu’elle le considère comme tel qu’elle met en place des stratégies toujours plus élaborées pour y faire face et pour diminuer l’impact des aléas sur son organisation.

Définition du risque nucléaire

L’aléa technologique nucléaire est le seul aléa technologique regroupant autant de dangers pour la santé humaine : surpression (explosion nucléaire), thermiques (fort dégagement de chaleur lors de la fusion du réacteur ou d’un incendie) et surtout toxiques (irradiations et contaminations). Il peut également impliquer des coûts économiques immenses, entre zones de production contaminées devenues improductives et mesures internationales de limitation des importations en provenance de la zone sinistrées.

Le risque nucléaire existe parce que des implantations humaines se situent dans la zone de danger d’un accident nucléaire. On peut même aller plus loin en disant que c’est un des rares risques technologiques pouvant avoir des impacts mondiaux sur la santé humaine car la radioactivité se diffuse à travers la planète par des courants atmosphériques et océaniques mais aussi par les réseaux de transports (cas des nourritures contaminées dans une économie mondialisée ou des poussières radioactives pouvant être transportées dans les bateaux ou les avions à travers le monde).

Dès plus, une centrale nucléaire se situant elle-même dans une zone d’aléa (lit majeur d’une rivière, zone de sismicité significative ou en zone de souffle liée à l’explosion d’une usine Seveso) constitue, de fait, un risque majeur pour les populations, quelque soit les mesures préventives prises à cet égard.

II/ A quels aléas naturels et technologiques externes est exposé le parc des centrales nucléaires françaises ?

Centrale Exposition Séisme SEVESO Littoral Crue Barrage Nappe
Tricastin Très forte 3 X X X X
Graveline Très forte 2 X X X X X
Cruas Forte 3 X X X
Saint-Alban Forte 3 X X X
Bugey Forte 3 X X X
Fessenheim Forte 3 X X
Civaux Forte 2 X X X
Blaye Forte 2 X* X X
Chinon Forte 2 X X
Nogent Forte 1 X X X
Chooz Moyenne 2 X X
Flamanville Moyenne 2 X
Belleville Moyenne 1 X X
Golfech Moyenne 1 X
Penly Moyenne 1 X X
Dampierre Moyenne 1 X X
Paluel Moyenne 1 X X
Saint-Laurent Moyenne 1 X X
Cattenom Faible 1 X

X* centrale subissant l’influence océanique (marées, ondes de tempêtes, difficultés des fleuves à évacuer les crues lors de tempêtes)

Dans cet article, par manque de temps, j’ai décidé de me pencher sur les centrales nucléaires en cours d’exploitation pour la production d’électricité en France. Je n’étudierai donc pas les réacteurs expérimentaux ou en construction, les usines de retraitement ou les lieux de stockage de déchets radioactifs. C’est donc sur les 19 centrales nucléaires d’Electricité de France (EDF) en cours d’exploitation que va porter mon analyse. De même, je ne parlerais pas ici des risques majeurs externes liés au terrorisme, à un conflit avec une autre nation, à un accident aérien ou à une attaque de zombies (*), facteurs qui constituent une liste non exhaustive des risques majeurs externes auxquels nos centrales sont exposées.

La submersion fluviale et/ou marine

Pour refroidir leurs réacteurs, les centrales nucléaires ont besoin d’eau. Ainsi, elles se situent presque toutes à proximité directe de fleuves, de rivières ou sur le littoral. Or, ces milieux naturels sont soumis à de fortes variations du niveau des eaux, notamment liées aux conditions météo. Ainsi, les fleuves connaissent des crues plus ou moins importantes et le littoral subit des niveaux de la mer plus ou moins élevés. L’Autorité de sureté nucléaire (ASN) impose que toutes les centrales soient conçues pour résister à une submersion dix-millennale, autrement dit la plus forte crue ou élévation du niveau de la mer susceptible de se produire sur une échelle de 10 000 ans (1). Elle reconnaît dès lors que le risque externe de submersion est présent sur les sites des centrales nucléaires françaises même si elles prévoient des dispositions pour le réduire.

A l’exception notable de la centrale de Cattenom, proche de la frontière belge et luxembourgeoise (à priori non exposée à une submersion), toutes les centrales se situent dans les basses zones littorales ou dans le lit majeur d’un fleuve, voir dans les deux à la fois.

Suite à la tempête de 1999, la centrale nucléaire de Blaye a connu un incident causé par une submersion partielle de ses digues qui aurait pu devenir catastrophique. En effet, sous l’effet de fortes vagues, l’espace entre la digue et la centrale a été envahi par les eaux mais les digues ont tenu le coup. Cependant, cette eau a pénétré dans la centrale et a coupé la moitié du système de refroidissement. Nous sommes passés très près d’un black-out total du système de refroidissement, comme à Fukushima. Pourtant, même si la tempête de 1999 était importante, elle n’était pas, et de loin, une tempête dix-millennale tout comme la crue et les vagues qui l’ont accompagnée. A vrai dire, et en toute objectivité, la France n’a pas connu de grande crue (ne serait-ce que centennale) de ces grands fleuves depuis que ses centrales nucléaires sont activités. Les stress-tests effectués récemment n’ont donc pas bénéficié de retour d’expérience réel sur ce type d’événement.

La remontée de nappe phréatique est une remontée d’eau souterraine pouvant s’introduire dans les bâtiments et ainsi noyer des équipements importants voir critiques pour la sécurité de la centrale. A quelques exceptions près, ce risque est omniprésent sur le parc nucléaire français.

L’aléa sismique

Le risque sismique majeur est caractérisé par des vibrations plus ou moins intenses du sol et du sous-sol endommageant les constructions humaines et donc impactant les hommes qui s’y trouvent. Potentiellement, un séisme susceptible d’endommager ces constructions est possible partout en France, même en zone 1 d’aléa très faible (2), tout dépend à quelle échelle de temps on se situe. Selon les sites d’implantations, l’intensité du séisme peut être amplifiée par des effets topographiques, liés à la nature du sol et du sous-sol ou à la présence de faille sismique. Cet article n’a pas regroupé ces données et se base seulement sur le zonage sismique national actuellement en vigueur en France.

Les centrales les plus exposées au niveau de ce zonage sont celles de Tricastin, Cruas, Saint-Alban, Bugey et de Fessenheim.

L’aléa mouvements de terrain

L’aléa mouvements de terrain est catégorisé en plusieurs sous-domaines (glissements, éboulements et chutes de matériaux, effondrements et affaissements, tassements différentiels…).

Les tassements différentiels ne concernent à priori pas les centrales car ces mouvements sont lents et prévisibles. Le problème reste cependant entier pour les autres catégories d’aléa mouvements de terrain, probablement plus par leurs effets indirects sur les autres aléas que sur le site même des centrales.

L’aléa sécheresse/étiage

Les niveaux d’eau des cours d’eau peuvent atteindre un niveau très bas en cas de sécheresse zonale prolongée, pouvant nuire aux processus de refroidissement des réacteurs.

Toutes les centrales fluviales non littorales sont concernées mais à des degrés différents. Cette étude ne se penchera pas sur ces niveaux d’étiage, toujours par manque de données synthétiques. Ce risque n’est pourtant pas à négliger. Cela a déjà été le cas de la centrale de Cattenom, non située près d’un cours d’eau mais près d’un lac artificiel de barrage.

Cependant, une centrale à l’arrêt demande beaucoup moins d’eau pour être tenue à une température non critique comparée à une centrale en production. De plus, des systèmes de refroidissements auxiliaires existent (nappes phréatiques, aéro-réfrigérants..) si bien qu’une sécheresse majeure aura un impact moins important que celui d’une crue majeure ou d’un accident technologique important.

Les aléas technologiques

Certaines centrales nucléaires sont installées dans les zones de danger d’industries Seveso. Les aléas technologiques Seveso se caractérisent par des effets de surpression (souffle de l’explosion d’une usine ou d’un stockage de produits explosifs – cas d’AFZ), des effets thermiques (gradient de chaleur suite à la combustion massive d’un produit) et des effets toxiques (gaz et liquides dangereux pour l’homme, les animaux et l’environnement pouvant être inhalés, ingérés ou contractés par simple contact). Les centrales de Tricastin et de Graveline sont les seules à se situer dans ces périmètres de danger, à quelques dizaines de mètres de ces usines.

A la jonction des risques technologiques et du risque de submersion, l’aléa de rupture de barrage (risque technologique lui aussi) se caractérise par la rupture du réservoir d’eau artificiel entrainant une crue déferlante sur les implantations humaines en aval du barrage. Il peut être provoqué par une crue importante, un glissement de terrain dans la retenue ou un séisme. La déferlante peut engendrer des effets missiles ou des embâcles avec les éléments transportés par les flots.

La documentation sur les hauteurs d’eau en cas de rupture de barrage est peu diffusée et les hauteurs d’eau libérées, ajoutées à celle d’une crue majeure, restent difficiles à déterminer, même si on comprend aisément leur rôle amplificateur au même titre que la vitesse de la vague libérée. Par défaut, nous considérerons dans cet article que si une centrale est en zone inondable et que la commune est soumise au risque de submersion liée à une rupture de barrage, alors la centrale se trouve concernée par le risque de rupture de barrage.

Les centrales de Tricastin, Graveline, Cruas, Saint-Alban, Bugey, Civaux, Chinon et Nogent sont ainsi concernées par le risque de rupture de barrage.

III Les effets dominos autour des centrales nucléaires

Qu’est-ce qu’un effet domino ?

Un effet domino est caractérisé par un enchainement d’aléas causés par des ruptures brutales des conditions d’un environnement. Un aléa impacte alors un enjeu, cet enjeu devenant lui-même aléa qui va aller impacter un nouvel enjeu. Par exemple, un séisme à100 kmd’une centrale nucléaire entraine la rupture d’un barrage, qui en rompant occasionne une crue torrentielle et très élevée. La déferlante fait rompre les digues fluviales, et submerge une centrale nucléaire. La centrale rejette alors une énorme quantité de radioactivité dans l’environnement. C’est donc le cas d’une catastrophe majeure par effets domino (séisme->rupture de barrage->déferlante->rupture ou submersion de digues->catastrophe nucléaire). L’exemple d’effet domino le plus connu est celui de la catastrophe de Fukushima : un séisme a provoqué un tsunami qui lui même a submergé les digues littorales et la centrale nucléaire.

Les effets dominos sont très nombreux et ont été manifestement sous-estimés dans les études d’implantation géographique des centrales nucléaires. Nous ne pouvons pas tous les énumérés tant ils sont nombreux. Citons en donc quelques exemples.

– Seveso et centrales nucléaires

Dans le cas d’une explosion d’une unité industrielle Seveso, des projectiles de plusieurs tonnes peuvent retomber sur les enceintes des réacteurs, amplifiant plus encore les effets subis par la déflagration initiale.

En cas d’accident nucléaire avec accumulation d’hydrogène dans les enceintes de confinement des centrales de Tricastin ou de Graveline (située en zone d’industries Seveso), aurait-on fait exploser ces enceintes pour libérer ce gaz comme cela a été fait à Fukushima ? Une telle explosion pourrait entrainer en retour l’explosion des usines Seveso, dont la déflagration endommagerait plus encore la centrale (centrale à découvert par son explosion quelques instants avant). A travers cette question relative aux procédures d’urgence internes pour laquelle je n’ai pas d’expertise, je voulais évoquer un possible effet domino réciproque, un aléa impactant un enjeu, impactant lui-même l’aléa d’origine.

– Submersions et centrales nucléaires

Si la presse s’est posée la fausse question de la probabilité d’un tsunami sur les centrales françaises suite à Fukushima pour en conclure que c’était impossible, les impacts d’une vague déferlante de plusieurs mètres de haut ne sont pas à exclure sur les centrales françaises.

S’il est maintenant envisagé de modéliser les plus hautes côtes atteintes par les eaux sur une crue dix-millennale, les effets dominos d’autres aléas naturels peuvent avoir un effet amplificateur. Qu’arriverait-il en cas de rupture de barrage lors d’une crue majeure ?

De même, en cas de période pluvieuse intense et prolongée, les sols des bassins versants du cours d’eau dans lequel se situe la centrale sont plus sensibles à des glissements. Un mouvement de terrain massif est alors susceptible de se produire sur le cours d’eau, créant un barrage naturel et une retenue d’eau en amont du glissement. Cet embâcle géant, sous la pression de l’eau ainsi retenue, peut alors rompre à tout moment et engendrer une vague déferlante venant amplifier la crue déjà destructrice.

Les centrales en zone d’aléa inondation et de submersion marine sont doublement exposées. En cas de gros coefficient de marée, de rivières en forte crue et d’onde et marée de tempête, l’inondation ne peut être évacuée vers la mer et le niveau d’eau monte alors rapidement autour des digues de la centrale.

Les stations en bordure de littoral peuvent être exposées à des vagues géantes, type tsunami, quand une importante masse de terrain à proximité des centrales s’effondre dans l’océan (effet baignoire). Cet événement a été repéré de mémoire d’homme à Nice en 1979 avec une vague de 3m probablement causée par un effondrement de grande ampleur de terrains sous-marins. Cependant, ici aussi, nous n’avons aucune donnée permettant d’envisager ce risque comme existant sur les centrales littorales, bien qu’à ma connaissance, aune étude ne prouve non plus que ce risque puisse être écarté.

La problématique de la submersion des centrales est donc étroitement liée à la robustesse et aux dimensionnements des digues aux abords des centrales. Les ruptures de digues présentent elles-aussi des effets dominos. En effet, une digue en amont de la centrale qui rompt, créée automatiquement, par effet venturi, un fort courant destructeur qui fragilise plus encore les digues en aval, ce qui peut être le cas des digues qui ceinturent certaines centrales nucléaires françaises.

– Séisme et nucléaire

Les séismes sont, à cette date, imprévisibles quant à leur date d’occurrence et leur intensité précise. Ils sont susceptibles endommager les équipements de la centrale ou perturber certains processus, surtout si une phase critique ou sensible de manipulation est en cours d’exécution dans la centrale.

Si la météorologie est un facteur principal des risques de submersion, les séismes sont capables de provoquer des réactions en chaîne pouvant entrainés par effets dominos des submersions (mouvements de terrain et déferlantes, ruptures de barrage) ou des accidents Seveso.

IV Pourquoi sommes-nous tous responsables ?

L’Etat sous-estime les risques et délaisse des pans entiers de la résilience nationale

EDF, entreprise détenue majoritairement par l’Etat, est le premier garant de la sécurité des centrales nucléaires, des barrages hydroélectriques et des procédures de sécurité qui s’y appliquent. En ce sens, sa responsabilité est claire. En matière de culture du risque, notamment en ce qui concerne la communication de risques et de crises, EDF et l’Etat sont  à l’origine d’un déficit important de résilience de la population française face aux catastrophes nucléaires.

EDF, par un discours trop rassurant, n’incite pas la population à prendre conscience des risques majeurs réels auxquels elle est exposée. Si beaucoup d’autres risques majeurs font l’objet de campagnes d’information et d’éducation afin d’améliorer la résilience des populations face à une catastrophe majeure, il faut bien constater que la culture du risque nucléaire n’est pas du tout efficiente dans la population française. Nous n’avons jamais été éduqués à l’éventualité d’une catastrophe nucléaire. Les réactions de la population française pourraient être totalement imprévisibles et irrationnelles, impactant l’organisation de crise et alourdissant le bilan humain et économique. Pour preuve, il convient de noter que dès lors qu’un incident survient dans une centrale nucléaire, les médias et la population crient immédiatement à la catastrophe par incompréhension du phénomène et par crainte du nucléaire (cf non-incident de Fessenheim au début de mois).

En matière de communication de crise, la confiance des citoyens dans le discours de l’Etat est à un point plus qu’inquiétant en ce qui concerne le nucléaire. Les citoyens n’ont pas oublié les discours sur les nuages radioactifs qui s’arrêtent aux frontières tout comme ils se souviendront des propos surréalistes de ministres et scientifiques de renom qui indiquaient que la centrale de Fukushima était sous contrôle alors même que les médias du monde montraient son explosion. Plutôt que de minimiser, voir de nier la catastrophe quand elle se produit, l’Etat devrait répondre aux interrogations de la population lors de ces événements. Comment sommes-nous préparés en France à faire face à une catastrophe nucléaire ? Quels sont les moyens disponibles pour que chacun de nous puisse se mettre en sureté ? De ce point de vue, l’Etat n’aura pas su utiliser la catastrophe de Fukushima pour renforcer son déficit de crédibilité et la résilience des français, ce qui est l’enseignement majeur que nous pouvons retenir de cette crise. Heureusement, notre modèle démocratique nous a permis de commencer à poser le débat de notre réaction face à une catastrophe comme celle de Fukushima, notamment grâce aux médias.

En dehors de sa communication de risques ou de crises, l’Etat a également pour responsabilité le contrôle réglementaire dans le domaine des autres risques technologiques (Seveso, barrage, Transports de matières dangereuses), de l’entretien des digues et de la gestion globale et coordonnée des bassins versants. Ainsi, une faiblesse de l’Etat dans ce domaine et ce sont des risques accrus pour les centrales nucléaires françaises et pour l’ensemble de la population.

Enfin, comme le montre cette étude, l’Etat est responsable d’avoir installé des centrales nucléaires dans des zones d’aléas majeurs alors que des espaces moins sensibles existaient. La centrale de Cattenom nous montre bien qu’il était possible d’installer nos centrales dans des lieux plus sûrs que des périmètres Seveso, des zones de sismicité avérées ou des endroits submersibles. La sécurité de la zone d’implantation ne semblait pas être un critère d’évaluation majeur avant de décider de l’implantation des centrales, du moins à l’époque.

Des associations écologiques « conservatrices » et alarmistes

Depuis l’incident critique de Blaye et surtout après la catastrophe de Fukushima, les associations anti-nucléaires n’ont pas changé de logiciel d’analyse et de communication. C’est toujours la centrale nucléaire de Fessenheim qu’elles veulent fermer en priorité. Comme elles le répètent depuis 20 ans, Fessenheim est une ancienne génération de centrale comprenant deux seules enceintes de confinement au lieu de 3, au risque sismique sous-estimé et au vieillissement de ces installations (Fessenheim est plus ancienne centrale nucléaire de France). Avec deux petits réacteurs, à la frontière d’une Allemagne en pleine remise en question autour du risque nucléaire, l’Etat n’était que trop content de lâcher du mou aux écologistes et à une partie de l’opinion publique tout en contentant son puissant voisin allemand. Et pourtant, à la vue des résultats de ce panorama sur les risques majeurs externes, il apparaît que Fessenheim n’était peut-être pas la priorité absolue, bien que demeurant un symbole.

Enfin, malgré leur travail de fond important et utile dans les domaines de la contre expertise (dont la Criirad) et de l’information de la population qu’elles effectuent, il faut le dire, de manière souvent plus efficace que les pouvoirs publics, les associations écologiques ont fortement tendance à exagérer chaque petit incident. Par trop d’alarmisme, elles perdent malheureusement en crédibilité.  D’un autre côté, elles sont à la source (ou amplifient) parfois des rumeurs sur certains incidents mineurs. Cet état de fait laisse craindre un comportement des populations non rationnel en cas d’accident grave ou de catastrophe, surtout à l’heure des médias sociaux où plus personne ne peut maitriser l’ensemble du champ de communication sur une crise donnée et où la cohésion doit dominer. Sur fonds de rumeurs, que se passerait-il si une population prise de panique décidait d’évacuer au lieu de se confiner alors qu’un important nuage radioactif traverse leur territoire ?

Les associations écologiques sont donc responsables de leur communication, en certains points déficiente, sur le risque nucléaire ; communication qui est cependant loin de pouvoir combler les vides et erreurs que l’Etat laisse régulièrement dans ce domaine.

Les citoyens face à leur responsabilité environnementale et aux choix de la transition énergétique en cours.

Le propriétaire d’un terrain dans lequel passe une digue est responsable de son entretien. Comme nous l’avons vu dans cet article, la question des digues est centrale pour la sécurité des centrales nucléaires françaises. La situation est préoccupante car les digues françaises sont mal-entretenues, notre réseau de protection vétuste et fragile. Dans beaucoup de cas, les maires, puis l’Etat, n’exercent pas suffisamment leur pouvoir de police pour faire respecter cette réglementation et les exemples sont malheureusement légion comme nous l’a révélée de la tempête Xynthia. Si cette situation de mauvais entretien des digues peut avoir un impact « positif » pour la sécurité des centrales en permettant l’expansion d’une partie des crues en amont, elle est bien plus problématique dans un périmètre proche. Le plan digue, actuellement en cours de réalisation avec une enveloppe de 500 millions d’Euros à pour vocation de renforcer la robustesse des digues, en hiérarchisant l’ordre de priorité des interventions. Il devrait tenir compte de cette question de sécurité nationale lié aux centrales nucléaires (point non vérifié) bien qu’il soit surtout le fruit de la réaction à la tempête Xynthia.

De même, la sensibilité d’un bassin versant aux mouvements de terrain et aux hauteurs de crues dépend fortement de l’usage qu’en font les propriétaires fonciers. Ainsi, l’exploitant qui décidera de raser une forêt amplifiera ces risques indirects alors même qu’il n’en aurait pas conscience.

Avant la fin de l’année 2013, le gouvernement fera voter une loi de programmation pour la transition énergétique. Nous sommes donc dans une phase parlementaire qui engagera le quinquennat en cours et orientera fortement notre modèle énergétique pour les 3 à 4 générations à venir. Après le vote de cette loi, il sera très difficile de revenir sur cette décision, décision qui se traduira par la suite par des investissements massifs de plusieurs centaines de milliards d’euros sur le siècle en cours. Notre génération fera ce choix, supportera le coût du démantèlement des centrales nucléaires comme celui de la création de nouvelles unités productives, nucléaires ou non. La deuxième génération continuera cette transition énergétique couteuse mais commencera à bénéficier de nos efforts productifs. Seule la troisième génération profitera pleinement des investissements faits dans ce domaine. Nous vivons donc un moment historique où nous avons la possibilité de choisir ce que nous laisserons aux générations futures en matière de d’approvisionnement énergétique, de risques majeurs et plus globalement de qualité de vie.

Devrons-nous rapidement sortir du nucléaire à la vue des risques majeurs de cette technologie ? Préférerons-nous plutôt intégrer l’énergie nucléaire dans un mixte énergétique avec les énergies renouvelables et fossiles ? Ou choisirons-nous de continuer sur notre modèle actuel avec une énergie nucléaire comme source dominante de notre approvisionnement électrique ? La réponse à ces questions pourrait être démocratique, alimentée par un grand débat national, ouvert à la population. Un référendum est possible, il me semble, en enlevant la dernière question sur le tout nucléaire.

Le choix du tout nucléaire, réfléchi dans les années 60 et traduit dans l’aménagement du territoire national après le premier choc pétrolier de 1973, s’est fait sans débats démocratiques. Il se traduit actuellement par une non-appropriation du risque nucléaire d’une frange importante et peut-être majoritaire de la population. Une issue démocratique et participative nous permettrait d’adhérer aux contraintes que nous aurons choisies, quelles soient liées aux énergies renouvelables, fossiles ou nucléaires. Dans le cas d’une issue favorable à l’énergie nucléaire, cette adhésion démocratique de la nation nous permettrait de mieux nous approprier le risque nucléaire et de tenir des débats féconds sur la manière de réduire les risques et de nous préparer à une éventuelle catastrophe. Quelque soit cette réponse, dans un contexte économique possiblement morose, elle imposera des sacrifices, en termes de coûts, de risques ou d’efficacité.

Le président François Hollande avait promis pendant la campagne présidentielle d’ouvrir ce grand débat sur la transition énergétique et c’est par cette conférence environnementale que cela se traduit. Force est de constater que ce débat n’est pas sur de bons rails quand les ministres de l’industrie affirment avant même qu’il ait lieu que l’énergie nucléaire est une énergie d’avenir. Une énergie d’avenir sans une possible adhésion des français ? L’affirmation est pour le moins risquée, même dans l’éventualité d’une décision finale en trompe-l’œil, autoritaire et unilatérale de l’Etat. Une grande catastrophe sur le sol français et les hommes politiques, irrésistiblement entrainés par l’opinion, pourraient alors décider de virer vers une sortie accélérée du nucléaire, comme c’est le cas actuellement au Japon. Ainsi, nous pourrions avoir englouti des milliards sans avoir le retour de nos investissements énergétiques.

Si une nouvelle génération de centrales nucléaires pourrait donc être lancée, il nous faudra alors impérativement nous soucier de ne pas les implanter dans des environnements soumis à des aléas majeurs comme cela est le cas actuellement. Le débat démocratique devra aussi ici trouver toute sa place, hors des jeux politiques locaux visant à attirer les taxes mirobolantes issues de la présence d’une centrale nucléaire sur son territoire. Un nombre important d’élus locaux demandent à ce que la question de la transition énergétique soit décentralisée, pourquoi pas à condition de prendre en compte cette contrainte.

A défaut de ne pouvoir éliminer complètement le risque d’accident d’une centrale nucléaire, nous devrons le réduire au minimum et améliorer la résilience de nos populations à l’éventualité d’une catastrophe nucléaire majeure, résilience qui ne passe pas seulement par la mise à disposition de pastilles d’iode ou de plans militaires et corporatifs hiérarchisés mais par une véritable culture du risque nucléaire, par une manière de préparer la population à se mettre en sureté, à évacuer, à pouvoir déplacer si possible une partie de l’appareil productif tout en se demandant comment exercer des activités économiques dans de nouvelles conditions. Cette résilience doit également passer par des simulations de crises d’envergure nationale, voir internationale. Dans ce but, l’Etat doit impérativement arrêter de minimiser, lors de chaque débat et surtout lors de chaque crise, l’éventualité d’une catastrophe et entamer les processus qui nous mèneront à une résilience effective face à la catastrophe nucléaire.

Conclusion

Dans ce moment historique de transition énergétique engageant la sécurité, le bien être et l’efficacité économique des 3 à 4 générations à venir, chaque citoyen est en droit de demander l’ouverture d’un grand débat réellement démocratique et participatif sur notre modèle énergétique général et donc sur la place que doit y tenir le nucléaire. Telle sera notre responsabilité historique, la grandeur de notre démocratie et, je le souhaite, les conditions de notre résilience.

Conseil :

– Demander au député de sa circonscription l’ouverture d’un débat démocratique et participatif sur la transition énergétique actuelle.

– Faire le choix d’une association demandant ce débat et la soutenir.

Annexe : Biais qu’induisent les notions de retour d’événement sur la représentation du risque

(1) La notion de retour d’événement envisage théoriquement la probabilité de survenue d’un événement (aléa) en fonction du temps. Ainsi, plus le temps passe, plus la probabilité que cet événement se produise augmente. Elle est la base de travail des experts pour le dimensionnement des protections de nos centrales aux risques majeurs externes. Or la réalité est loin de ressembler à cette vision théorique. Par exemple, la crue centennale de la Loire n’a pas eu lieu au cours du siècle dernier alors même que le siècle d’avant, elle s’est produite à 3 reprises.

Envisageons quand même de travailler à partir de cette notion. L’ANS envisage que les digues de nos centrales soient dimensionnées pour résister à une submersion dix-millennale (crue, onde de tempête). Cela paraît énorme, presque irraisonnable. Mais regardons ce que cela induit en termes de probabilité, toujours avec cette vision des risques.

Pour une centrale donnée, une telle submersion peut donc se produire de façon égale avant 10000 ans ou après. Sachant que l’espérance de vie d’une centrale est de 50 ans environ le risque apparaît donc comme très faible, de l’ordre de 0,5% (une crue diz-millénnale pour une durée d’exploitation d’une centrale de 50 ans soit 50 ans/10000 ans ou 0,5% de chance que cet événement survienne sur une centrale).

Cependant, nous n’avons pas qu’une seule centrale nucléaire de production d’électricité en zone submersible mais 20 (chiffre pris par simplicité mais très loin d’inclure tous les autres types d’unités de l’industrie nucléaire en zone submersible…). Ainsi, nous n’attendons pas un seul événement de retour de 10 000 ans mais bien 20 événements. Toujours théoriquement, il y aurait donc 10 événements attendus avant 10 000 ans et 10 autres attendus après 10 000 ans. Soit une submersion dix-millénale théoriquement possible tous les 1000 ans sur l’ensemble du parc français. La durée de vie de nos centrales étant de 50 ans, cette probabilité d’événement de submersion dix-millennale sur une de nos centrales monte donc à 5%. La probabilité reste donc faible mais le risque bien réel.

A ce risque de 5% de submersion de nos centrales doit être ajouté celui du risque sismique, du risque technologique, celui du risque d’un accident interne et celui d’un risque complètement inenvisageable. Le pourcentage de 5% est donc très fortement minoré. De plus, admettons que nous prolongions de 50 ans de plus l’ensemble du parc et ce pourcentage passe à 10%, pour les seuls risques de submersion. Cette logique explique également aussi pourquoi il y a eu et il y aura encore des accidents nucléaires sur la planète qui compte environ 200 centrales et 450 réacteurs, nombre croissant.

(2) Pour le risque sismique, la notion de retour d’événement est aussi largement biaisée. Il n’y a aucune certitude sur le plus fort séisme susceptible de se produire sur 10 000 ans. Les failles, considérées comme passives ou actives, font l’objet d’intenses débats d’experts, même dans des zones de sismicité très faibles. Ainsi, le dernier séisme en Emilie Romagne du 20 mai 2012 au nord de Bologne, relativement destructeur avec 7 victimes et plus de 5000 déplacés n’était pas attendu, ayant dégagé beaucoup plus d’énergie que le plus fort séisme pris en compte. Ainsi, si l’ASN préconise de concevoir des centrales pouvant résister à un séisme plus fort que celui attendu, l’incertitude sur la magnitude des séismes attendus reste importante, car la sismologie n’est pas une science exacte.

(*) Le risque d’attaque de zombie est ici pris pour montrer le caractère parfois totalement improbable voir inédit que peut prendre une crise majeure. L’effet de sidération paralyse ou induit en erreur les décisions des gestionnaires de crise car ils doivent improviser des solutions à la crise hors de leurs cadres préétablis, sans moyens prévus pour y faire face. Ce type de risque est d’autant plus difficile à prendre en considération que nous n’avons aucune certitude sur ce que seront les menaces de demain. Toute personne qui se moquerait de cet exemple montrera qu’il n’est pas prêt à envisager tout type de scénario de crise dépassant son cadre d’anticipation. Car, sur le fond, nous sommes bien dans le cas d’une épidémie, susceptible de perturber gravement le fonctionnement d’une centrale nucléaire.

By Cédric Moro

Auteur du blog I-Resilience, je suis depuis plus de 20 ans au service de la prévention des risques majeurs, surtout en Europe et en Afrique. J'allie cette expertise avec mes compétences de développeur d'applications, passé par des grandes boites IT, pour vous écrire ici des articles aux croisements de ces deux mondes.

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