Mise en garde : Cet article est issu d’un poster scientifique d’I-Résilience, en anglais, présenté lors la Semaine européenne de la météorologie de l’espace (ESWW2024) qui s’est tenue du 4 au 9 novembre 2024 à Coimbra au Portugal ; colloque organisé par E-SWAN (Association européenne en météorologie et climatologie de l’espace). I-Résilience était la seule organisation à y présenter des travaux en résilience sociale face aux événements solaires extrêmes.
Introduction
Depuis son électrification massive, l’Europe des moyennes latitudes n’a jamais été confrontée à une tempête géomagnétique majeure, contrairement à l’Amérique du Nord, qui a été affectée par trois fois (1921, 1946, 1989). Ainsi, bien des pays d’Europe n’ont que peu de culture du risque car, comme souvent en prévention des risques majeurs, sans catastrophe mémorable : peu de prévention.
Par exemple, le site officiel de la météorologie de l’espace de l’Agence spatiale européenne, riche en observations et prévisions, ne présente aucune vulgarisation et traduction, et demeure réservé aux spécialistes. Beaucoup d’industries ne bénéficient d’aucun cadre normatif ou de plans d’action, à l’image du ferroviaire. Les gestionnaires publics de risques et d’urgences aux latitudes moyennes, ne sont que peu informés des risques ; peu aptes à protéger les enjeux. La population n’a que peu conscience de cet aléa et n’est pas prête à être résiliente. Comme pour d’autres risques majeurs, il convient donc ici de poser les bases rationnelles de cette culture du risque, afin que le citoyen comprenne les phénomènes et leurs impacts et qu’il accompagne ainsi les mesures d’urgence.
I-Résilience propose donc ici une stratégie globale pour créer une culture du risque en météorologie de l’espace, plus particulièrement ici autour des tempêtes géomagnétiques.
Définissez le risque majeur
Lorsqu’un phénomène naturel aléatoire (aléa) est susceptible de causer des dommages aux personnes et aux biens et de nuire aux activités économiques (enjeux), il devient un risque. L’ampleur de la catastrophe dépend de la vulnérabilité des enjeux exposés, autrement dit de leur robustesse ou de leur résilience face à un événement donné.
Les événements extrêmes, lorsqu’ils surviennent dans une zone avec beaucoup d’enjeux vulnérables, génèrent des catastrophes majeures. Les risques majeurs se définissent par une faible fréquence de leur
occurrence, mais par une extrême gravité des impacts sur les enjeux.
Pour les tempêtes géomagnétiques, l’aléa est ici représenté les Courants induits géomagnétiquement (CIG), susceptibles de causer des dommages aux infrastructures électriques et par conséquences de nuire aux citoyens et à leurs activités économiques (enjeux). Il s’agit donc d’un risque. Le risque est majeur car des infrastructures essentielles et vitales à la société peuvent être affectées à vaste échelle et durablement, comme celles liées à l’énergie, aux communications et aux transports.
Communiquez simplement sur l’aléa
Lorsqu’on s’adresse aux citoyens, la compréhension des phénomènes physiques, quoi que complexe dans la réalité, doit être simplifiée pour viser un niveau scolaire de collège. L’objectif est que le citoyen comprenne les grandes lignes de l’aléa afin qu’il s’approprie rapidement le risque et adhère plus facilement aux mesures de résilience.
Schématisez l’induction électromagnétique et les Courants induits géomagnétiquement
Figurez les aurores
Dans le but de matérialiser l’aléa, les aurores seront mises en évidence, même si des zones sans aurores peuvent subir les effets des tempêtes géomagnétiques. Les médias comme les citoyens partageront des images d’aurores pendant l’événement géomagnétique, rendant cette réalité tangible même si elle ne peut être directement observée par le citoyen exposé. Cette représentation de l’aléa via les aurores doit être préférée à celle plus physique d’un champ magnétique en mouvement, qui s’adresse plutôt à des lycéens scientifiques.
Vulgarisez les phases d’un événement solaire majeur
Imagez les perturbations sur les enjeux
Sur les réseaux domestiques lors d’une tempête géomagnétique majeure
Dans les systèmes technologiques
Expliquez simplement le fonctionnement des systèmes technologiques par temps calme puis décrire les dysfonctionnements possibles lors d’événements solaires majeurs. Ci-dessous, le cas du système électrique ferroviaire.
Encouragez la résilience
Lors des alertes météos
Doctrine : Baisser les puissances consommées pendant une tempête géomagnétique majeure
En prévention
Doctrine : Accroître l’autonomie face aux longues coupures.
Actions individuelles :
- Envisager la voiture comme une source d’énergie de secours,
- Plans familiaux et d’aide au voisinage face à l’indisponibilité des réseaux.
Actions publiques :
La météorologie de l’espace doit maintenant intégrer tous les plans d’urgence et de prévention des risques majeurs.
Cartographiez les risques
En tempête géomagnétique centennale, toute l’Europe sera affectée par le risque. L’Europe a besoin d’une carte bien plus détaillée que celle-ci, tenant compte de la conductivité des sols.
Réveillez la mémoire du risque
Depuis son électrification massive, l’Europe des moyennes latitudes n’a jamais été touchée par une tempête géomagnétique majeure.
Cilblez dans les archives de la presse nationale et locale les impacts des fortes tempêtes géomagnétiques (aurores ; lignes électriques, télégraphiques, téléphoniques, ferroviaires perturbées…).
Discussion
Pendant plusieurs siècles, le pôle nord magnétique était situé sur l’Amérique du Nord, région presque toujours impactée par les tempêtes majeures, contrairement aux autres continents.
Depuis 1989, il y a 35 ans, il n’y a pas eu de tempête géomagnétique majeure (index DST inférieur à -500nT), malgré des cycles solaires assez actifs. Cette période calme démarre avec la migration très rapide du pôle nord magnétique sur l’océan arctique, en 1990.
La zone continentale qui accueillera le pôle nord magnétique relativement stabilisé pourrait donc être la plus exposée et ce d’autant plus s’il est positionné bas en latitude, comme ce fut le cas en 1859, lors de
l’événement de Carrington.
Conclusion
Depuis l’avènement des religions monothéistes, le rôle déterminant du soleil a été refoulé dans l’inconscient collectif ; ainsi les sites mégalithiques sont tombés en désuétude au profit des religions révélées puis de la science, portant un message de maîtrise de l’homme sur son avenir. Les lumières du soleil ont ainsi laissé place aux lumières de l’homme.
Dans cette lignée idéelle, beaucoup d’astrophysiciens tiennent des discours trop rassurants sur le rôle protecteur de la magnétosphère alors même qu’ils savent que les aléas solaires majeurs exposent nos sociétés technologiques. Ainsi, remettre la puissance du soleil au coeur de notre société est-il intériorisé comme une régression ?
En évitant l’écueil des angoisses existentielles, ne serait-il pas préférable de plaider plutôt pour une vulnérabilité relative de la magnétosphère, rare, à laquelle nos sociétés survivront, mais pour lesquelles elles pourraient être mieux préparées ?
Source
C. Moro « Space Weather and the Culture of Risk in Europe« . 4 nov 2024. European Space Weather Week 2024. E-SWAN – CD2-P11. Poster: https://esww2024.org/wp-content/uploads/fusion-forms/672279f85e0e8.pdf