Mise en garde : Comme tous les articles en partie 3, nous nous attacherons ici à résumer les vulnérabilités d’un système technologique face aux tempêtes géomagnétiques majeures et à détailler les stratégies de résilience qui pourraient être mises en place pour sauvegarder cet enjeu. Cet article sur les câbles transocéaniques d’internet n’y échappe pas. La lecture de certains articles en partie 1 devrait venir éclairer les lecteurs.
Cet article est issu d’une partie du poster scientifique d’I-Résilience, en anglais, présenté lors la Semaine européenne de la météorologie de l’espace (ESWW2024) qui s’est tenue du 4 au 9 novembre 2024 à Coimbra au Portugal ; colloque organisé par E-SWAN (Association européenne en météorologie et climatologie de l’espace). I-Résilience était la seule organisation à y présenter des travaux sur la résilience des câbles optiques transocéaniques face aux tempêtes géomagnétiques.
Situation
Dans le monde
- 1,3 millions de Km de câbles optiques sous-marins,
- 532 systèmes de câbles en service , 77 planifiés,
- 95% du trafic internet, 99% en intercontinental,
- Durée de vie d’un câble : 25 ans,
- Durée de fabrication : 2 à 3 ans,
- Coût d’un câble : des centaines de millions d’€,
- Profondeur moyenne des océans : 3 682m.
- Réparation : des semaines à des coûts prohibitifs;
- Production, pose et entretien des câbles : quelques multinationales. (ASN, Subcom, NEC, Hengtong, Orange Marine, Global Marine Systems…),
- 500 entreprises exploitantes, surtout des télécom,
- Tendance à la concentration de l’exploitation des câbles autour des fournisseurs de contenus (GAFAM).
- Aucune mention des tempêtes géomagnétiques et des Courants induits géomagnétiquement (CIG) dans les documents de sécurité et de protection des câbles optiques sous-marins.
- Aucune norme dans les spécifications de ces câbles ou du choix de leurs sites d’atterrage au regard des risques liés aux tempêtes géomagnétiques.
En Europe
- 3 bateaux réparateurs des câbles optiques sous-marins dans l’UE :
– France : 1 à Brest et 1 à La Seyne-Sur-Mer,
– Italie : 1 à Catane.
– (1 + en GB, hors UE : à Portland). - Nombre de câbles atterrant dans l’UE continentale : environ 300.
- Avec 3 bateaux réparateurs en Europe, les capacités de réparation sont insuffisantes pour relever rapidement un événement d’endommagement à vaste échelle des grands câbles optiques sous-marins.
- Néanmoins, ces câbles optiques sous-marins ne sont utilisés qu’à seulement 18% de leur capacité.
Rappel du fonctionnement du câble optique transocéanique
Pour plus de précisions, se reporter à la partie sur la Station d’atterrage des câbles optiques – SAC.
Les répéteurs
Les répéteurs classiques WDM
Ils transforment le signal optique en signal électrique, amplifient le signal électrique et le retransforment en signal optique. Mais cette opération présente des inconvénients :
- Temps de latence lors des conversions.
- Un composant déficient et tout le câble est inopérant.
- Protégé de 200 A pour les meilleurs.
Les répéteurs SDM de nouvelle génération
Ils fonctionnent avec des pompes laser qui dopent les ions dans la fibre, sans conversion en signal électrique.
- Pas de latence.
- Pompes laser redondantes : Une pompe peut devenir inopérante, les autres augmentent leur capacité.
- Protégé de 700 A pour les meilleurs (estimation).
Meilleures redondances possibles
- Chaque Équipement d’alimentation (ÉA) peut alimenter le câble de bout en bout.
- Chaque ÉA a deux convertisseurs DC/DC redondants.
- Chaque SAC possède deux groupes électrogènes redondants.
- Chaque SAC possède des pools de batteries redondants.
- L’opérateur peut dérouter le trafic sur un autre câble.
- L’opérateur a des répéteurs SDM plutôt que WDM.
Les risques en tempête géomagnétique majeure
Nous avons résumé sur ce schéma les principales défaillances des câbles optiques sous-marins en contexte d’événement géomagnétique majeur :
Les inconnues scientifiques et techniques
La question de la robustesse ou de la vulnérabilité des câbles optiques sous-marins débouche sur plusieurs inconnues :
- Les câbles optiques sous-marins n’ont jamais été mis à l’épreuve d’un stress test grandeur nature sur une tempête géomagnétique majeure (index DST sous les – 600 NT).
- Certains sites d’atterrage des câbles, tout comme les trajets océaniques, n’ont pas été choisis en fonction de leurs propensions à atténuer les inductions et CIG.
- Les documents de spécification des câbles optiques sous-marins sont très difficiles à trouver. Il est donc délicat d’estimer les spécifications des répéteurs par câble et notamment les capacités des cascades de diodes Zener parant les CIG.
- A cause de l’électro-corrosion, certains câbles n’ont plus de mises à la terre dans les BU. Il est difficile de savoir lesquels.
- Les interconnexions entre câbles de différents opérateurs ne sont pas non plus connues.
- Les niveaux des redondances en SAC ne sont pas non plus centralisés.
- Certains câbles optiques sous-marins conçus pour les courtes distances, qui n’ont donc pas besoin de répéteurs, ont tout de même une gaine de cuivre, susceptible de transporter des CIG.
- Certains producteurs de câbles très compétitifs économisent sur la qualité des isolants et des armatures du câble.
Renforcer la résilience du réseau optique sous-marin
Expérimentations sur des câbles optiques sous-marins en fin de vie
L’objectif est ici de réaliser des mesures et des tests sur des câbles réels, qui viennent d’être désactivés pour des raisons économiques, mais toujours fonctionnels et opérables en SAC :
- tester la réaction des câbles à différentes intensités de courants jusqu’à l’endommagement des répéteurs.
- mesurer l’électro-corrosion des mises à la terre du câble optique sur des événements HILDCAA simulés,
- connaître l’échauffement du câble à différentes intensités et tensions,
- étudier les comportement de la force électromotrice en simulant des différences de potentiels aux mises à la terre du câble,
- estimer l’efficacité des dérivations de flux optiques sur d’anciens câbles après un événement d’endommagement majeur.
L’ensemble des données récoltées seront utiles pour la recherche S&T et pour estimer la résilience du réseau, conseiller les opérateurs de câbles et normer les équipements les plus sensibles.
Modélisation du réseau face aux CIG
Il s’agit ici de centraliser un maximum de spécifications autour des câbles optiques sous-marin pour mieux modéliser le réseau, à savoir :
- Plages de fonctionnement des équipements, à terre ou en mer,
- Espacement entre chaque répéteurs et entre chaque BU,
- Dérivations possibles des flux optiques entre câbles différents,
- Les trajets assez précis des câbles optiques sur le talus continental ou en mer profonde pour modéliser les effets d’inductions ou d’impédance,
- Les niveaux de redondances en SAC pour chaque câble,
- Les années de construction et de mise en service des câbles,
- La longueur, la résistance du câble et les autres caractéristiques physiques.
L’objectif serait donc de lier à la base de données de Telegeography des câbles optiques sous-marins à celle des spécifications d’un maximum de câbles optiques sous-marins pour estimer la technologie utilisée pour les câbles dont les données n’ont pas été trouvées. Ainsi, il serait possible de mieux modéliser le comportement du réseau sous-marin en fonction des intensités des tempêtes géomagnétiques.
Conception d’une route résiliente à une tempête géomagnétique dix-millennale
Compte tenu de l’importance cruciale d’internet dans nos sociétés, les informations essentielles et vitales doivent pouvoir être transmises en toutes circonstances.
S’il semble illusoire de normer tout le réseau sous-marin à moyenne échéance, surtout pour le rendre résilient à un événement dix-millennal comme un événement Miyake, il est possible de concevoir un sous-réseau mondial, reliant tous les continents et îles, par des voies sûres, avec le moins de répéteurs possibles, dans des zones où la configuration de la topographie sous-marine amortie les inductions électromagnétiques et les CIG.
Cette opération pourrait être menée à l’échelle européenne, incluant les territoires ultramarins, ou à l’échelle des Nations Unies. Il serait ainsi possible d’y faire transiter toutes les informations des centres d’urgence et de secours mais aussi probablement toutes les communications par SMS et vocales de la population mondiale, permettant une résilience minimale à ce type d’événement.
Les enseignements R&D tirés de cette infrastructure hyper-résiliente servirait de base à l’établissement de voies privilégiés ou de normes pour les câbles optiques sous-marins.
Organisation de plans d’action à grande échelle
Les plans d’alerte
Au sein des tableaux de bord des NOC (Network operations centers), les indicateurs suivant devraient être disponibles :
- Les prévisions de la météo de l’espace,
- les indices critiques (ex : dB/dT des magnétomètres proches des sites d’atterrages),
- les câbles sous-marins injoignables pendant l’événement (Ex Nautilus, , veille multicanal),
- la résilience globale d’internet (ex : alertes BGP).
Les plans de gestion d’urgence
Les opérateurs pourraient choisir de :
- Re-router le trafic vers des routes aux latitudes moins exposées aux CIG,
- Désactiver temporairement certains de leurs câbles les plus vulnérables ou exposés.
Les plans de relèvement rapide
- Sur un événement d’endommagement à vaste échelle, plutôt que de mener des réparations câble par câble en mer, privilégier la redirection des flux optiques perdus sur d’autres câbles à proximité, en créant de nouvelles interconnexions entre câbles d’opérateurs différents. Les autorités nationales de régulation des télécommunications pourrait encadrer cette disposition d’urgence en attendant le relèvement total du réseau.
- Envisager également la réouverture d’anciens câbles toujours fonctionnels pour augmenter la bande passante disponible.
Les plans de prévention
- Veiller aux redondances des équipements en NOC et en SAC,
- Mener des exercices réguliers,
- Développer un outil qui permet d’estimer les plus puissants CIG côtiers sur des événements géomagnétiques majeurs pour mieux choisir les sites d’atterrage ou informer les opérateurs des plus forts CIG attendus sur leur site,
- Normer les spécifications des équipements les plus vulnérables pour une meilleure résilience aux CIG extrêmes.
Conclusion
Ces plans de résilience des câbles optiques sous-marins pourraient être élaborés en collaboration avec les réseaux de chercheurs en météorologie et climatologie de l’espace tels que E-SWAN, ISES…, les opérateurs des câbles optiques sous-marins et des spécialistes en prévention des risques majeurs et en résilience des organisations humaines face aux catastrophes naturelles, technologiques et aux urgences sanitaires tels que ceux d’I-Résilience.
Bibliographie
C. Moro « SpaceWeather & Internet Resilience: the Case of the Submarine Optical Cables ». 4 nov 2024. European Space Weather Week 2024. E-SWAN – CD2-P10. Poster: https://esww2024.org/wp-content/uploads/fusion-forms/67226a4365c3d.pdf
Bibliographie de l’article « Tempête géomagnétique et vulnérabilité des câbles optiques sous-marins » : https://www.i-resilience.com/2024/01/tempete-geomagnetique-et-vulnerabilite-des-cables-optiques-sous-marins-1-3-3-2/